Comment interpréter le Yijing chinois

(Yi Jing, I Ching, Yiking, Yijing, Yi King, Yih-king)
Livre des mutations, Livre des Oracles, Livre de sagesse,
Le classique des mutations.




Comment interpréter le Yijing chinois.
La préface de Carl Gustav Jung 05

Wilhelm commente : " Par là est désigné un homme qui, à une époque de haute civilisation, se trouve à un poste où nul ne le reconnaît et ne prête attention à lui. C’est là pour son action un obstacle considérable. " Le Yi Jing se plaint pour ainsi dire de voir que ses excellentes qualités ne sont pas reconnues, et, par suite, demeurent en friche. Il se console par l’espoir qu’il va acquérir une nouvelle considération.

La réponse donnée dans ces deux traits saillants à la question que j’avais posée ne requiert aucune subtilité spéciale d’interprétation, aucun sacrifice, aucune connaissance extraordinaire. N’importe qui, à condition d’être doté seulement d’un peu de bon sens, peut comprendre la signification de la réponse ; ce sont les propos de quelqu’un qui a une bonne opinion de lui-même, mais dont la valeur n’est reconnue ni d’une façon générale, ni même jusqu’à un certain point. Le sujet qui répond a de lui-même une notion intéressante : il se regarde comme un vase dans lequel des offrandes sacrificielles sont présentées aux dieux en aliments rituels destinés à les nourrir. Il voit en lui-même un ustensile cultuel servant à préparer la nourriture spirituelle pour les puissances ou les éléments inconscients (les " influences spirituelles ") qui ont été Projetés sous forme de divinités, en d’autres termes, à donner à ces puissances l’attention dont elles ont besoin pour jouer leur rôle dans la vie de l’individu. C’est là, en fait, la signification primitive du mot religio qui veut dire : " observer attentivement, prendre en considération un facteur numineux " (de religere) ".

La méthode du Yi JiLa méthode du Yi Jing tient compte effectivement de la qualité individuelle cachée dans les choses et les hommes et aussi dans l’essence inconsciente de chacun. J’ai questionné le Yi Jing comme on questionne une personne que l’on s’apprête à présenter à des amis : on lui demande si cela lui sera agréable ou non. En réponse, le Yi Jing me parle de sa signification religieuse, de l’ignorance et du mépris dans lequel il est actuellement tenu, de son espoir d’être rétabli à une place d’honneur - avec, évidemment, un clin d’œil vers mon projet de préface 12, et, surtout, vers la traduction anglaise.
Cela paraît constituer une réaction parfaitement compréhensible, telle qu’on pourrait l’escompter d’une personne dans une situation semblable.
Mais comment cette réaction a-t-elle été déclenchée ? l’air trois petites piécettes et en les laissant retomber, rouler, s’immobiliser, côté pile ou côté face, comme en avait décidé le hasard. Ce fait étrange qu’une réaction productrice de sens naisse d’une technique excluant apparemment toute signification depuis le début est le grand titre de gloire du Yi Jing. L’exemple que je viens de donner n’est pas unique : les réponses sensées sont la règle. Les sinologues occidentaux et de distingués érudits chinois se sont donné du mal pour m’informer que le Yi Jing est une collection désuète de " formules magiques ". Au cours de ces conversations, mon informateur a parfois admis qu’il avait consulté l’oracle par l’intermédiaire d’un devin, ordinairement un prêtre taoïste. Cela ne pouvait être, naturellement, qu’" absurdité ". Mais, assez curieusement, la réponse obtenue paraissait coïncider de façon remarquable avec la tache aveugle du psychisme du questionneur.
J’accorde à la pensée occidentale que n’importe laquelle des soixante-quatre réponses à ma question était possible et, assurément, je ne puis avancer qu’une autre réponse n’eût été également significative. Toutefois celle que j’ai reçue a été la première et la seule ; nous ne savons rien d’autres réponses possibles. Celle-ci m’a plu et m’a satisfait. Poser la même question une seconde fois eût été un manque de tact ; aussi ai-je évité de le faire : " Le maître ne parle qu’une fois. " Je tiens pour anathème la pesante et maladroite méthode pédagogique qui tente d’ajuster des phénomènes irrationnels à un modèle rationnel préconçu. En fait, des données telles que cette réponse doivent demeurer comme elles étaient quand elles ont pour la première fois émergé pour s’offrir à la vue, car ce n’est qu’alors que nous savons ce que fait la nature lorsqu’elle est laissée à elle-même sans être troublée par l’action brouillonne de l’homme. On ne doit pas aller vers des cadavres pour étudier la vie. De plus, une répétition de l’expérience est impossible pour la simple raison que la situation originelle ne peut être rétablie. Et c’est pourquoi il n’y a dans chaque cas qu’une première et unique réponse.