(Yi Jing, I Ching, Yiking, Yijing, Yi King, Yih-king) Livre des
mutations, Livre des Oracles, Livre de sagesse, Le classique des
mutations.
Comment interpréter le Yijing chinois. La
préface de Carl Gustav Jung 11
Les quatre hexagrammes sont pour l’essentiel
cohérents en ce qui concerne le thème (vase, gouffre, puits) et, au
point de vue du contenu intellectuel, ils paraissent être dotés de sens.
Si un être humain m’avait tenu de tels propos, j’aurais dû, en tant que
psychiatre, le déclarer sain d’esprit, au moins sur la base des
matériaux présentés. Je n’aurais pu, en vérité, découvrir dans les
quatre réponses rien de délirant, de stupide ou de schizophrénique.
Compte tenu de l’extrême antiquité du Yi Jing et de son origine
chinoise, je ne puis considérer comme anormal son langage archaïque,
symbolique et fleuri. Au contraire, j’aurais eu à féliciter la personne
supposée de la profondeur d’intuition avec laquelle elle avait pénétré
mon état d’incertitude.
Par contre, toute personne à l’esprit vif
et léger peut retourner entièrement la situation et montrer comment j’ai
projeté mes états subjectifs dans le symbolisme des hexagrammes. Une
telle critique bien que catastrophique du point de vue rationnel de
l’Occident, ne porte pas atteinte à la fonction du Yi Jing. Bien au
contraire, le sage chinois me dirait en souriant : " Ne voyez-vous pas
comme le Yi Jing est utile pour vous faire projeter dans son symbolisme
abstrus vos pensées non encore formulées ? Vous auriez pu écrire votre
pré- face sans vous rendre compte de l’avalanche d’incompréhensions
qu’elle risque de déclencher. " Le point de vue chinois ne s’occupe pas
de l’attitude que l’on adopte en face de l’activité de l’oracle.
C’est seulement nous qui heurtons à chaque instant sur notre préjugé :
la notion de causalité. L’antique sagesse de l’Orient met l’accent sur
le fait que l’individu intelligent est conscient de ses propres pensées,
mais pas le moins du monde de la manière dont il l’est.
Moins
nous réfléchirons à la théorie du Yi Jing, et plus nous dormirons
tranquilles. Il me semble qu’à l’aide de cet exemple, un lecteur sans
préjugé peut maintenant être en mesure de former au moins un essai de
jugement sur le fonctionnement du Yi Jing. On ne peut pas en demander
davantage à une introduction. Si, par cette démonstration, je suis
parvenu à élucider la phénoménologie psychologique du Yi Jing, j’aurai
rempli mon propos. Quant aux milliers de questions, de doutes, de
critiques que soulève ce singulier ouvrage, je ne puis y répondre. Le Yi
Jing ne se présente pas avec des preuves et des résultats; il ne se
vante pas, il n’est pas d’un abord aisé. Constituant un élément de la
nature, il attend, comme tel, qu’on le découvre.
Il n’offre ni
faits, ni pouvoirs, mais, pour les êtres épris de connaissance de soi et
de sagesse - s’il en est -, il paraît être le livre adéquat. A l’un, son
esprit semblera aussi lumineux que le jour ; à un autre, chargé d’ombre
comme le crépuscule ; à un troisième, obscur comme la nuit. Celui à qui
il ne plaît pas n’a pas à l’utiliser, et celui qui est contre lui n’est
pas obligé de le trouver véridique. Puisse-t-il s’avancer dans le monde
pour le bénéfice de ceux qui savent discerner sa signification.
C. G. JUNG, Zurich, 1949
• 1. I Ching or the Book of Changes,
traduit par Cary F. Baynes, New York Londres, 1950-1951.