(Yi Jing, I Ching, Yiking, Yijing, Yi King, Yih-king) Livre des
mutations, Livre des Oracles, Livre de sagesse, Le classique des
mutations.
Comment interpréter le Yijing chinois. La
préface de Carl Gustav Jung 07
Il peut se faire aussi que nous prenions une
situation trop à cœur et la considérions comme très importante, tandis
que la réponse obtenue en consultant le Yi Jing attire l’attention sur
un autre aspect inattendu qui était implicitement inclus dans la
question. De tels exemples peuvent conduire à penser à première vue que
l’oracle est menteur. On rapporte que Confucius n’aurait reçu qu’une
réponse inappropriée : l’hexagramme 22, la " Grâce ", qui est purement
esthétique. Ce trait évoque l’avis donné à Socrate par son daïmon : " Tu
devrais t’exercer à la musique ", sur quoi Socrate se mit à jouer de la
flûte. Confucius et Socrate se disputent la palme comme types d’attitude
raisonnable et pédagogique face à la vie ; mais il est improbable que
l’un ou l’autre se soit occupé de " donner de la grâce à sa barbe ",
comme le dit le deuxième trait de cet hexagramme. Malheureusement la
raison et la pédagogie manquent souvent de charme et de grâce, si bien
qu’après tout l’oracle a pu ne pas se tromper.
Mais revenons à
notre hexagramme. Bien que le Yi Jing ne se contente pas de se montrer
satisfait de sa nouvelle édition, mais manifeste en outre un optimisme
puissant, il ne prédit encore rien de l’effet qu’il exercera sur le
public qu’il se propose d’atteindre. Comme nous avons, dans notre
hexagramme, deux traits soulignés par la valeur numérique 9, nous sommes
en mesure de découvrir quelle sorte de pronostic le Yi Jing formule à
son propre sujet. Les traits désignés par un six ou un neuf sont dotés,
suivant l’antique conception, d’une tension interne si grande qu’elle
les fait se transformer dans leurs opposés, Yang en Yin et vice versa.
Ce changement nous donne dans le cas présent l’hexagramme 35, Jìn le "
Progrès ". Le sujet de cet hexagramme est quelqu’un qui traverse toutes
sortes de vicissitudes dans son effort vers le haut, et le texte décrit
la manière dont il doit se comporter. Le Yi Jing est dans la même
situation : il se lève " comme le soleil " et " se manifeste ", mais "
il est repoussé " et " ne rencontre pas de confiance ", il " progresse,
mais dans la tristesse ". Pourtant " on reçoit un grand bonheur de son
aïeule ". La psychologie peut nous aider à élucider ce passage obscur.
Dans les rêves et les contes de fées, la grand-mère ou aïeule représente
souvent l’inconscient parce que ce dernier, chez l’homme, contient la
composante féminine de la psyché. Si le Yi Jing n’est pas accepté par le
conscient, du moins l’inconscient le rencontre à mi-chemin, car le Yi
Jing est relié de plus près à l’inconscient qu’à l’attitude rationnelle
du conscient.
Puisque l’inconscient est souvent représenté dans
les rêves par une figure féminine, cela peut constituer l’explication de
notre sentence. La personne féminine peut être la traductrice Il qui a
prodigué au livre ses soins maternels, et cela pourrait fort bien
apparaître au Yi Jing comme un " grand bonheur ". Il prévoit une
compréhension générale, mais craint un mauvais usage : " Progressant
comme une marmotte. " Mais il se répète l’avertissement : " Ne prends
pas le gain et la perte à cœur. " Il demeure libre de " préoccupations
partisanes ". Il ne compte sur personne.
Ainsi le Yi Jing
envisage calmement son avenir sur le marché américain et s’exprime à ce
sujet comme le ferait n’importe quelle personne sensée en face de
l’avenir d’un livre si sujet à controverse. La prédiction obtenue par le
jet fortuit de pièces est si raisonnable et si remplie de sens commun
qu’il serait difficile de songer à une réponse plus juste.
Tout
cela est survenu avant que j’aie écrit les paragraphes précédents.
Arrivé à ce point, j’ai souhaité connaître l’attitude du Yi Jing
face à la situation nouvelle. L’état de choses avait été modifié par ce
que j’avais écrit, dans la mesure où j’étais désormais moi-même entré en
scène et j’attendais par suite que l’on me dise quelque chose se
rapportant à ma propre action. Je dois avouer que je ne m’étais pas
senti très à l’aise en écrivant cette préface, car, en tant que personne
consciente de sa responsabilité scientifique, je n’ai pas pour habitude
d’affirmer quelque chose que je ne puisse prouver, ou tout au moins
présenter comme acceptable par la raison. C’est une tâche pleine
d’incertitude que de proposer à un public moderne une collection de "
formules magiques " avec l’idée de les rendre plus ou moins acceptables.
Je l’ai entreprise parce que je pense personnellement qu’il y a dans
l’ancienne manière de penser chinoise plus que le regard n’en discerne
au premier abord.