Confucius, l’homme politique,
comprit que la crise sociale exigeait l’unité culturelle en tant que
fondement essentiel de l’unité politico-sociale civilisée. Et
l’anthropologue philosophe, préconisa la vie vécue à l’image de l’acte
cérémoniel véritable, le rite, comme condition nécessaire et suffisante
pour instituer une humanité authentique.
Se préoccupant de la
dimension proprement humaine de l’Homme, i.e. de sa qualité d’humanité,
plutôt que de l’opposition entre les termes individu et société, il
chercha donc l’inspiration dans sa propre tradition culturelle de
manière à générer une interprétation humanisante et harmonisante pour
son époque conflictuelle.
Il innova en infléchissant de manière
radicale le sens de certaines expressions : le li, de rite religieux
devint un rituel social, junzi, de fils de noble, devint homme de bien,
et ren, de bienveillance courtoise, devint bienveillance morale,
rectitude ou humanité. Il révolutionna la philosophie politique en ce
que désormais, non seulement les concepts sortaient du domaine du sacré
et passaient au domaine du profane, ou du royal au personnel, mais
aussi que le pouvoir devait être attribué non pas selon la naissance,
mais bien selon le mérite de la personne.
Cette révolution portait
aussi sur l’enseignement des Lettrés, lequel n’était désormais plus
réservé à l’aristocratie, mais ouverte à toute personne désireuse de
devenir un homme de bien.
La rectification des mots devenait donc
essentielle pour faire cesser la violence, car lorsqu’un mot est
détourné de sons sens, il engendre l’incompréhension. L’incompréhension
engendre la méfiance et la méfiance est racine de la violence.
Détourner un mot de son sens, c’est engendrer la violence aussi
certainement que de dégainer une arme.
Il proposait donc une
conception éthique de l’action humaine dans son intégralité et son
universalité. Elle réunissait étude, sens de l’humain et les rites en
une vision unique de ce qu’est une tradition civilisée, c’est-à-dire
une culture. L’Homme avait donc une mission : celle d’affirmer et
d’élever toujours plus haut sa propre humanité.
De l’action et du rituel
Les êtres humains deviennent
vraiment humains à mesure que leurs impulsions instinctives sont
modelées par le rituel, lequel est l’accomplissement de l’impulsion
humaine, son expression civilisée – et non pas une déshumanisation
formaliste. Le rituel est la forme spécifiquement humanisante de la
relation dynamique être humain-être humain.
Nous nous serrons la main non
pas en nous tirant la main l’un l’autre de haut en bas, mais par un
geste coopératif spontané et parfait. Habituellement, nous ne
remarquons pas la subtilité et l’étonnante complexité de cet acte
rituel coordonné. L’authenticité du respect mutuel ne requiert pas
que j’éprouve consciemment un sentiment de respect ou que je
concentre mon attention sur mon respect pour vous; elle est
pleinement exprimée dans l’accomplissement vivant, spontané et
correct du geste.
C’est précisément de cette manière que
l’activité sociale est coordonnée dans une société civilisée, sans
effort ni planification, mais simplement en faisant au départ, de
manière spontanée, le geste rituel dans le contexte approprié.
C’est donc par le biais du rituel, plus que par la parole ou la
pensée, que la partie spécifiquement humaine de notre vie est vécue.
Le rituel est un événement primaire, irréductible ; le langage ne
peut pas être compris s’il est isolé de la pratique conventionnelle
dans laquelle il est enraciné de même que la pratique
conventionnelle ne peut pas être comprise si elle est isolée du
langage qui la définit et en fait partie.
De la qualité de
l’action
Un acte peut être vu comme juste, adéquat, droit, si en
examinant comment la personne l’accomplit, cela révèle qu’elle
traite toutes les personnes concernées comme étant d’une dignité
égale à la sienne propre, en vertu de leur participation à toutes
deux au rituel.
Voilà pourquoi la première vertu confucéenne est
la sincérité, c'est-à-dire l’adhésion entière que la personne donne
à l'accomplissement des gestes conventionnels par lesquels elle
collabore à l'Ordre universel. Voilà pourquoi la convenance est la
seconde, car elle nous invite à pénétrer les choses de façon à
pouvoir accorder chaque action avec les données circonstancielles du
milieu dans lequel elle se réalise.
Références documentaires
DAN Yu. Le bonheur selon Confucius. Petit manuel de sagesse
universelle, Belfond, 2009,181p. Traduit par Philippe Delamare.
Excellente vulgarisation de la Voie selon Confucius.
Étiemble. Confucius (Maître K'ONG), Gallimard, coll. Folio no 40,
Paris, 1986, 320 p. Édition revue et augmentée d'un chapitre sur
« Confucius en Chine de ‑551(?) à 1985 ».
Fingarette
Herbert. Confucius, du profane au sacré, Presses de l’Université de
Montréal, Coll. Sociétés et cultures de l’Asie, 2004, 167p. Traduit,
présenté et commenté par Charles Le Blanc. Livre d’érudition
remarquable. Un livre qui donne le goût de développer plus
adéquatement son humanité.
Inoué Yasushi. Confucius, Stock,
Bibliothèque cosmopolite, 1997, 453 p. traduit par Daniel Struve.
L’auteur veut simplement qu’on réfléchisse un peu plus spontanément
et plus humblement à ce que ces documents nous apprennent sur les
intentions du Maître, à ce qu’ils renferment de présence vivante de
celui-ci. Il rappelle également que « Le Maître ne transmettait ni
n’imposait un savoir. Il fournissait matière à réflexion … ».
Le BLANC Charles & Rémi MATHIEU (Trad.). PHILOSOPHES
CONFUCIANISTES : « Les Entretiens » de Confucius (Lunyu) - Meng zi -
La Grande Étude (Daxue) - La Pratique équilibrée (Zhongyong) - Le
Classique de la Piété filiale (Xiaojing) - Xun zi [2009]. Coll.
Bibliothèque de la Pléiade, No 557, 1536p.
Ryckmans Pierre. Les entretiens de
Confucius, Gallimard, coll. Connaissances de l'Orient no 35, Paris,
1987, 168 p.
Tsai Chih Chung. Confucius, le message du
bienveillant, traduit par Sylvie Grand-Clément et Claude Maréchal,
Carthame, coll. Philo Bédé, Fillinges (France), 1993, 150 p.
Yang Shu'an. Confucius, Éd. Littérature Chinoise, coll. Panda,
Beijing, 1997, 466 p. traduit par Yang Jun. Biographie présentant
Confucius comme homme et non comme une idole, l’homme tel qu’il
vivait au quotidien. Surdoué et érudit, il connaissait bien les
rites de la haute société, fut un grand intellectuel. L’auteur
décrit la présumée rencontre avec Laozi et on assiste au début de la
première école publique.