On en sait très peu sur la
vie de Mozi, probablement issu du milieu des artisans de la Plaine
centrale si l’on se fie aux nombreuses anecdotes faisant état de ses
compétences dans le maniement de divers outils. D’où le caractère
souvent pragmatique de ses propos et sa préoccupation pour
l’utilitarisme.
Nous sommes à la fin de l’époque des Printemps
et des Automnes, soit la fin de la féodalité des Zhou, et au début de
la période dite des Royaumes combattants, laquelle se terminera par
l’unification sous le premier empereur.
Sa philosophie
représente donc, à la fois, un prolongement et une critique radicale de
l’humanisme confucéen. Elle a pour objectif de répondre directement aux
besoins croissants de connaissances techniques et de compétences
bureaucratiques fournies par la classe montante des Lettrés. En
conséquence, il substituera à l’idéal de l’homme de bien la figure de
l’homme capable.
Mozi et ses successeurs sont issus des hie,
ces chevaliers errants dont les « paroles furent toujours sincères et
dignes de confiance, et leurs actions toujours rapides et décisives »
et nous savons que les moïstes s’étaient donné une organisation
strictement disciplinée, capable d’actions militaires. Cependant, ils
différaient des chevaliers errants ordinaires sous deux aspects : ils
étaient rigoureusement opposés à toute guerre d’agression, ne
consentant à combattre que dans des guerres de légitime défense, et
leur code d’éthique avait une justification rationnelle, celle du bien
commun.
Ses écrits ont été rassemblés sous le vocable éponyme Le
Mozi qui comporte trois parties : Les 10 thèses [auxquelles souscrit
Menzi] ; Le canon moïste ; Les questions de génie militaire [techniques
de défense, interventions militaires]. Ce qui ressort, c’est que le
critère d’utilité l’emporte sur tout argument d’autorité ou de
tradition. L’utilitarisme moïste est en fait une obsession de la
fonctionnalité poussée à son comble, qui ne fait agir que dans un but
déterminé.
Le principe de l’amour universel de Mozi deviendra le
fondement de toute action morale. On pourrait dire sollicitude par
assimilation i.e. l’assimilation des autres à soi-même, ce qui n’est
pas l’amour pour autrui de Confucius, mais bien plutôt une
préoccupation impartiale et raisonnée pour tous les hommes comme une
fin en soi. Le tout est d’amener la nature humaine à convertir son
intérêt individuel en intérêt général, chacun trouvant son compte dans
le bien commun.
Mozi est le seul penseur à faire de l’égoïsme
la cause fondamentale de la guerre : l’homme est tellement obnubilé par
la poursuite de ses intérêts, tellement aveuglé par la partialité des
liens qui l’unissent à sa famille et à son pays, qu’il en vient à ne
plus voir dans ses semblables que des étrangers, et, dans le cas
extrême de la guerre, à ne plus savoir qu’un crime est un crime.
Bien que l’idée centrale du Mozi se fonde sur la nécessité de
l’amour universel comme seul régulateur efficace des relations
humaines, d’où une philosophie de sobriété, et de haine de la guerre,
il demeure pessimiste, car il ne croit pas que les hommes y soient
enclins naturellement.
Pour Mozi, l’autorité du chef de l’État
découle de deux sources : la volonté du peuple et la volonté du Ciel.
Le chef de l’État est établi par la volonté du peuple pour sauver
celui-ci de l’anarchie et la fonction principale de l’État devient
celle d’unifier les normes i.e. faire disparaître les normes
individuelles et donc arbitraires, et il incarne le bien commun. En
conséquence, l’État doit être totalitaire et l’autorité de son chef,
absolue.
Références
documentaires
CHENG Anne. (1955 - ) Histoire de la pensée
chinoise, Seuil, Paris, 1997, Coll. Points, Essai no 488, 696 p. Voir
le chapitre 3 : Le défi de Mozi à l’enseignement de Confucius
(pp.94-109).
DUTOURNIER Guillaume. Mozi et Confucius, Le Point,
no hors-série 13, mars-avril 2007, pp.78-79.
ELISSEEFF Vadime &
Danielle ELISSEEFF. La Civilisation de la Chine classique, Arthaud,
coll. Les grandes civilisations, Paris, [1979, 629p.], 2è édition 1987,
503 p.
FONG Yeou-Lan [1895-1991]. Précis d'histoire de la philosophie
chinoise, Éd. Le Mail, [1952], 367 p. Voir le chapitre V : Mo-Tseu, le
premier adversaire de Confucius. pp.68-78.