En 1983, Gaston Miron, la figure la plus connue de la poésie québécoise
contemporaine, dit: "Le fait majeur dans la littérature de ces trente
dernières années, c'est celui du passage de la littérature
canadienne-française à la littérature québécoise... Il revient donc à
trois générations d'écrivains, par leurs oeuvres, d'avoir forgé la
littérature québécoise, hissant celle-ci au rang des littératures
nationales de par le monde." Ces paroles prouvent de façon indirecte
que la poésie québécoise n'est devenue une poésie nationale
indépendante qu'à partir des années 50. Pour les Chinois, la découverte
de cette poésie est récente. La révélation de cette poésie a été
marquée par la parution d'un article publié en 1984 dans la revue
"Littératures étrangères" de Beijing, un article écrit par Wang Tailai,
professeur et canadianiste. Avant cette date, on connaissait bien sûr
déjà le Québec et les Québécois de nom, mais on tendait à les assimiler
à leurs cousins lointains de l' Hexagone. Et on appelait cette poésie
"la poésie canadienne-française" jusqu'à une période très récente.
Depuis cette date, les articles et les traductions se multiplient.
Aujourd'hui, l'existence d'une poésie québécoise est bien connue en
Chine.
En même temps, les grands poètes québécois sont entrés
dans l'«Encyclopédie des littératures étrangères », oeuvre qui fait
autorité en Chine.
Des articles consacrés à l'histoire de la
poésie québécoise et à des poètes tels que Émile Nelligan, Jacques
Brault, Gaston Miron, Paul Chamberland ont vu le jour.
En 1992,
"Les Littératures mondiales", en collaboration avec Jean-Cléo Godin,
professeur à l'Université de Montréal, a consacré un numéro spécial à
la littérature québécoise: on y trouve notamment un article de Gilles
Marcotte sur la poésie québécoise.
En 1993, le premier colloque
international sur la littérature québécoise s'est tenu à l'Université
de Nanjing.
En jetant un regard rétrospectif on s'aperçoit du
rôle décisif joué par deux éléments qui expliquent ce progrès des
études sur la poésie québécoise en Chine. D'abord, le gouvernement
chinois se mit en 1976 à appliquer une politique dite d'ouverture et de
réforme. Sans cette ouverture, la Chine ne saurait se montrer si
curieuse et si accueillante à l'égard du monde extérieur dont le
Québec. Puis, le gouvernement fédéral du Canada et le gouvernement
provincial du Québec ont fait de louables efforts pour diffuser la
culture québécoise en Chine.
Ceux qui s'intéressent à la
littérature québécoise en Chine, sont tous des francophones qui avaient
étudié la poésie française avant de découvrir la poésie québécoise. Ils
tendent donc à rapprocher la poésie française de l'Hexagone et la
poésie québécoise; ils sont très sensibles aux points communs et aux
particularités de ces deux poésies. Quand on lit Le vaisseau d'or
d'Émile Nelligan, on pense tout de suite au Bateau ivre de Rimbaud.
En Chine, on dit que la poésie est le chant du cœur ou le cri du
cœur. Quand nous abordons la poésie québécoise, une chose nous frappe:
en gros, nous avons l'impression d'entendre le cri d'un cœur angoissé,
un cri d'un cœur blessé. Nous trouvons en effet une certaine angoisse
qui domine dans la poésie québécoise, nous y distinguons trop de
lamentations, de plaintes, de regrets, de déceptions, d'amertumes.
N.D.L.R. Nos remerciements au professeur CHENG Yirong qui nous a autorisé à reproduire le texte de cette conférence prononcée en Italie en 1998.