Alain Grandbois, lui-même, n'y prête pas beaucoup d'importance: «Ce sont des impressions à l'état brut que j'ai cherché à fixer sur le papier, des chocs incohérents d'images qui pleuvaient sur mes yeux, pendant que doucement la jonque glissait sous les étoiles.»
Dans son recueil de nouvelles Avant le chaos, Grandbois décrit métaphoriquement le livre d'Hankéou: c'est «une jonque chinoise sans moteur avec un équipage exclusivement chinois» à bord de laquelle il a fait le tour du monde. Non seulement l'aspect matériel et le destin du recueil, mais encore le contenu de chacun des sept poèmes et le mouvement de l'ensemble justifient l'allégorie de cette présentation.
Entre l'instant du départ: «n' étions-nous pas partis comme ces voiles pour des mers indéfinies », et celui de l'impossible arrivée, le poète s'interroge sur le sens de la vie: «Pourquoi creuser ces houles comme une tranchée de sang»,
Nous avons partagé nos ombres
Plus que nos lumières
Nous nous sommes montrés
Plus glorieux de nos blessures…
Il ressent fortement «cette faim de durer et cette soif de souffrir». Le caractère tragique du livre d'Hankéou est allégorique: le cyclone détruit le mouvement dès sa naissance, et notre voyage est un infini dérisoire et absurde, un mouvement immobile.
On voit bien que les mots-thèmes des poèmes d'Hankéou sont: solitude, nuit, mort, exil, blessure, abandon, épouvante...
Les poèmes de Grandbois ont apporté un ton nouveau et de nouvelles inflexions à la poésie québécoise. On dit que dans ses poèmes on ressent une «santé de parole», et il sait y utiliser un langage de libération. Jacques Brault considère que Les Îles de la nuit ont été dans l'histoire de la poésie québécoise une révélation comparable… à la révélation baudelairienne en France. Les vers d'Alain Grandbois se font écho bien sûr de ses traits de caractère, de ses solitudes, de ses souffrances; et les sentiments qui s'y expriment s'accordent à la situation et à l'atmosphère du Québec, et à la condition générale de vie des Québécois.
À ce début de siècle, comme dit Jacques Brault, "Nous nous persuadions volontiers que nous étions entrés dans l'existence comme on entre en agonie", "Le Québec ne semblait être qu'un vaste ennui", "l'âme québécoise ressemble à ces eaux noires qui sous leur peau lisse ont l'air de dormir, et peut-être qu'elles dorment réellement", "Au pays de Québec, rien ne change".
"Il faut imaginer cette existence frileuse d'un petit peuple encagé, confiné dans une histoire fausse et une géographie hostile" pour comprendre l'inquiétude, l'angoisse de ce jeune poète qui était pourtant "nanti d'un héritage confortable, gai, sportif, aimant et aimé".
Avant le Seconde Guerre Mondiale, on appelait Alain Grandbois, Rina Lasnier, Anne Hébert, Saint-Denys Garneau «les quatre aînés». On les qualifie poètes isolés parce qu'ils faisaient cavalier seul, et que leur création était marquée d'un profond sentiment d'isolement.
D'Anne Hébert à Alain Grandbois, de Jean-Guy Pilon à Roland Giguère tout poème qui mérite d'être cité doit sa renommée à son audace de se faire écho à cette aliénation dont souffraient les Québécois.